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Mukanda : Rite d’initiation et d’intégration du garçon pende dans son milieu de vie
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Par
Kikunga Mushinga
Résumé
Selon Moumani, l’éducation traditionnelle est une source féconde d’inspiration pour tout chercheur africain qui veut aborder avec plus de sérieux le problème de recherche en éducation en Afrique. Dans le même ordre d’idée, le professeur Lukusa a démontré en avril 2009 lors du colloque à la faculté catholique de Kinshasa que, l’éducation traditionnelle occupe une place de choix dans la recherche des solutions aux problèmes liés à l’éducation africaine. C’est dans ce cadre, qu’entant que chercheur africain, nous voulons apporter notre contribution en essayant de démontrer que le rite traditionnel pende appellé Mukanda permet à l’initié de s’intégrer et de s’adapter à son milieu de vie.
Introduction
Mukanda est un processus qui s’étalait sur plusieurs mois. A ce sujet, nous cédons la parole à la demoiselle Marie-Louise Bastin, qui a mené des études sur les Tshiokwe, un des peuples voisins des Phende et dont les manifestations culturelles sont semblables : « A l’époque de la puberté, les garçons doivent, pour entrer dans la communauté des adultes, se soumettre au rite de passage connu sous le nom de Mukanda. Il débute par l’opération de la circoncision exécutée par le Nganga Mukanda, le circonciseur. Mukanda désigne le camp entouré d’une clôture pour les nouveaux circoncis d’un même village. Durant la période d’initiation, ceux-ci appelés Indandji (singulier : Kandandji) y vivent retranchés de leurs familles pendant une année ou deux sous la garde des Yikolokolo (singulier : Kikolokolo) instructeurs. (M.L. Bastin, 1961, pp. 48-49) ».
Nghenzi (2000, p.19), soutient la même chose, il dit : « l’éducation est marquée au départ par un sevrage brutal. Le garçon retranché du milieu affectif, maternel et féminin, va au Mukanda, en réclusion, non seul mais avec d’autres de sa classe d’âge, en communauté. Jadis deux ans, ramenés ultérieurement à un an.
A propos de cette séparation, Mudiji (1989, p.56), affirme que le Père explique au fils la série de prescriptions, malongo, qu’il introduit par un éloquent préambule, confiant l’enfant au bon vouloir de Nzambi, Dieu.
Deux étapes importantes sont observées dans le processus de Mukanda à savoir, Mukanda wa Kanzodi et Mukanda wa Mbuya.
Kanzodi désigne un passereau voltigeant sur des fleurs en vue d’y sucer du nectar. Ce petit oiseau est caractérisé par l’instabilité, l’inconstance. Cette étape est provisoire, préparatoire. Sa durée était habituellement de deux à trois mois.
Les jeunes gens âgés de 15 à 25 ans y apprenaient les Mitodio (chansons initiatiques), y dansaient et apprenaient les pièges et la pêche. Ils n’étaient pas sous la direction des Ilombuela (instructeurs), excepté quelques volontaires qui les aidaient. Il n’y avait pas de cérémonies spéciales, les jeunes ne découvraient pas encore les secrets des masques Mbuya.
Ils regagnaient ensuite le village sans cérémonies, mais désormais ils portaient un morceau de tissu de Raphia, Mbala Kitende, qui leur arrivait à la hauteur des genoux, cousu au cours de la période de la réclusion (Kibanda, interviewé à Kibanda, le 06/10/1975).
Mbuya signifie masque. C’est au cours de cette période en effet que les jeunes gens vont faire connaissance des masques ; ils vont en découvrir les secrets. C’est l’étape décisive qui dure même plus d’une année.
A ce sujet, Mudiji (1982) soutient que sous la conduite de leurs aînés, les tundanda s’adonnent à la danse initiatique, mimba. Une première révélation des masques leur est faite car ils dansent en compagnie des Minganji et en tressent des costumes postiches.
Les tsundanda (Néophites) y apprennent tout sous la conduite des Ilombuela (instructeurs). A cette étape intervient la circoncision (kushiya mukanda), pratiquée par un Nganga mukanda. La sortie se fera avec pompe et c’est la fête la plus populaire que la Communauté villageoise phende puisse connaître.
Le problématique de cette dissertation tourne autiour de la question de savoir si réellement le garçon pende qui sort de Mukanda, a reçu une formation qui lui permet de s’intégrer réellement dans son milieu de vie et de devenir adulte. Si oui quelles sont les facultés cognitives, affectives et psychomotrices qui sont développées au cours de l’initiation et par quelles techniques ?
Dans les lignes qui suivent, nous examinons les différentes leçons dispensées à Mukanda et leur impact sur les aspects que doivent viser une éducation adaptée à savoir : le cognitif, l’affectif et le sensori-moteur.
1. Les facultés cognitives
1.1. L’Attention
A Mukanda bon nombre des leçons sont organisés pour développer l’attention chez l’enfant.
Toma (flèche)
Un signal est donné au néophyte, le maître lance à l’aide de son arc, une flèche et demande l’attention soutenue des élèves à qui on demande d’aller chercher la flèche et le lui amener.
Kajila (Oiseau)
Lorsqu’un oiseau passe, l’ainé exige aux enfants de surveiller là où l’oiseau va se poser. Après, il les oblige d’aller chercher l’oiseau.
1.2. La mémoire
Est une faculté mentale qui a pour rôle « l’acquisition et la conservation des connaissances ». A Mukanda cette faculté est très exercée par les Mitodio (chanson initiatique) qui sont apprises à plusieurs strophes de la part des aînés qui chantent et montrent aux enfants de suivre leur rythme.
Pour développer la mémoire, les ainés utilisent également le Shima ou Sueko. Ce sont des leçons sur les proverbes ou contes, des fables et les devinettes pratiqués chaque soir et chaque matin.
Les initiateurs évaluent les néophytes pour savoir s’ils ont retenu les différentes leçons. Ceux qui échouent sont punis.
1.3. L’intelligence
En tant que capacité de s’adapter et de s’accommoder à des nouvelles situations, l’intelligence est une des facultés visées par Mukanda. En effet, dans un village pende, il y a lieu de distinguer un garçon initié de son collègue qui ne l’est pas. Le premier a une façon particulière de se comporter vis-à-vis des certaines situations. Parmi les facultés intellectuelles visées, nous pouvons citer :
1.3.1. L’esprit d’observation
Nous avons dit ci haut que le système éducatif traditionnel était concret et intuitif chaque leçon à Mukanda se donnait à l’aide des matériels didactiques que l’aîné apportait auprès des initiés.
Par exemple : dans une leçon sur la pêche et élevage, les enfants sont amenés sur les sites de la pèche et d’élevage. Ils observent directement des objets et la manière dont les ainés pratiquent. L’usage des plantes médicinales, la sorcellerie et le fétichisme sont appliqués au vu des objets ou des matériels à utiliser. Tout cela vise à développer l’esprit d’observation.
1.3.2. La créativité
Elle est différente de l’intelligence bien qu’elles se complètent. Mukanda développe aussi chez le garçon pende l’esprit créatif lorsqu’on apprend aux néophytes la sculpture, le tissage et la forge qui vont constituer pour ce dernier une source de revenu dans la vie d’adulte.
La leçon sur le Kitako vise le développement de cette aptitude. Elle consiste à mettre à la disposition de l’initié un morceau de bois sec qu’il doit frotter contre un autre jusqu’à obtenir du feu.
2. Les fonctions affectives
Le domaine affectif est un domaine d’affect. Il permet l’interaction entre l’enfant et son environnement. Nous allons inventorier les leçons dispensées aux enfants à Mukanda par les aînés afin de développer chez ce dernier les facultés morales, civiques, etc.
2.1. La politesse et respect
Ces deux qualités sont le plus visées dans l’éducation traditionnelle en Afrique en général et dans Mukanda en particulier. Les leçons sont préparées et enseignées par les ainés au camp d’initiation.
On apprend aux néophytes différentes chansons de politesse et de respect à chanter à l’arrivée du chef, des notables et des certains honorables au camp d’initiation. Ils sont instruits qu’à l’arrivée d’une autorité au camp, il faut se mettre debout en chantant une chanson de circonstance.
Dans toutes les rencontres, les cadets sont obligés de céder des places assises aux aînés. Ils sont aussi informés qu’au croisement avec un groupe des gens, il faut prendre la droite. Le respect des tabous et de normes initiatiques est de rigueur.
2.2. L’obéissance
C’est un principe d’or à l’initiation Mukanda. Dans le souci d’affermir sa personnalité, l’enfant sous la pression des aînés parvient à obéir tout ce que l’initiateur lui recommande de faire.
Par exemple : la leçon de Mbuji qui consiste à corriger un novice qui urine dans la maison : le matin l’initiateur enfonce un morceau de bambous à l’endroit où l’enfant a uriné et oblige celui-ci de le tirer par les dents.
Il y a également le Vol et le voyage nocturne : cette leçon bien qu’elle développe le courage chez les enfants, elle cultive aussi l’obéissance de l’enfant qui est envoyé d’aller puiser de l’eau la nuit à la source.
Injures : parce qu’il faut obéir à tout, l’enfant sous pression de son maître est obligé d’infliger les injures insupportables à l’endroit de ses parents malgré l’affection qu’il éprouve envers eux.
2.3. La solidarité et la fraternité
L’égoïsme est la solitude y compris l’individualisme sont des aspects le plus combattus à l’initiation Mukanda. Au contraire, les ainés développent chez l’enfant la solidarité et la fraternité : les enfants mangent ensemble sans choisir le repas issu de sa propre famille.
La nudité : dès que l’enfant est amené au camp d’initiation il est déshabillé il vit ensemble avec les autres nus symboles de la solidarité. Cette nudité, symbole de l’unité, laisse croire que ces enfants sont en communion les uns des autres et vivent sans secret.
Manger Ensemble : manger ensemble signifie répondre à la règle de la bonne santé. Cette pratique initiée par le maître à Mukanda vise à atteindre l’objectif de combattre l’égoïsme et la jalousie chez les initiés. Tous les aliments qui viennent au camp sont mis ensemble et consommés en commun
2.4. Le courage
Un adulte doit se distinguer de l’enfant par son courage ; c’est pourquoi tout au long de la formation, l’initiateur multiplie les séries de leçons pouvant développer chez l’enfant le courage :
- Mutsue wa ndende : consiste à couper par l’initiateur un régime de noix qui sera accueilli à main des néophytes. Ces derniers doivent le faire parce que c’est une leçon malgré les risques qu’ils peuvent courir. On dit que si ce régime de noix touche le sol tout le monde deviendra stérile.
- Nyoka : le pendes savait que le serpent c’est un ennemi de l’homme mais ces deux êtres humains se croisent souvent, c’est ainsi que depuis l’initiation, les aînés préparent la rencontre des enfants avec le serpent. On place le serpent quelque part, puis on fait passer les initiés l’un après l’autre à la rencontre du serpent. On repète ça trois à quatre fois. La pratique vise l’expérimentation de la peur du serpent.
- Kiyeye (feu traditionnel) : cette leçon qui donne du courage à l’initié consiste à placer une sorte de champignons qui brille la nuit comme du feu appelé “kiyeye”. Ce champignon est placé à une distance de plus ou moins 50 mètres du camp d’initiation, l’initiateur demandera à tour de rôle l’enfant d’aller toucher ce feu malgré les conditions de sobriété ; et les enfants passent à tour de rôle.
- Khoshi (lion) : le lion c’est un animal féroce plus méchant ; l’initiateur provoque chez l’initié une peur intense en lui faisant croire que le lion était là dehors prêt l’attaquer. Il lie un bambou à un arbre de sorte que, quand il le fait tourner, le dispositif crée émet le son d’un cri de lion. Les enfants dans la case initiatique entendent le cri du lion dehors mais ils ne peuvent pas fuir car, contraints d’y rester jusqu’au matin.
- Kibulu : considéré chez les initiés comme une punition, il consiste à développer le courage chez l’enfant. Un jour sur deux ou trois selon l’horaire établi, très tôt matin, les initiés, tors nus, sont appelés à sortir de la case initiatique l’un après l’autre et ils sont accueillis par les ainés avec des coups de fouet.
3. Les activités psychomotrices
Nous parlons ici des pratiques de l’initiation Mukanda qui visent à développer les aptitudes physiques chez l’enfant.
3.1. L’endurance
Judo traditionnelle, chaque matin et chaque soir les initiés ou les néophytes sont conviés à s’exercer au judo entre les enfants du même âge. Il arrive aussi qu’on organise des matchs de football contre les autres du camp voisin.
L’excès de table : au camp, il n’y a pas d’excuse pour les initiés qui ne mangent pas beaucoup. Des leçons sur les excès de table se donnent par les initiateurs qui partagent des parts égales à tous les enfants et donnent un signal pour que tout le monde entre en compétition et un signal final est donné celui qui n’a pas terminé est obligé de terminer son repas sinon il est puni.
Lukhanda est une leçon qui a pour objectif de faire l’endurance du petit doigt (pousse) elle consiste à accrocher la pousse des mains des néophytes dans une corde et le faire contourner trois fois la maison de l’initiation.
Mululu, une leçon semblable à lukhanda consiste à lier la corde est sur le pénis de l’initié avec but d’endurcir et de développer cet organe.
3.2. Métier (Travaux manuels)
Beaucoup des leçons sur l’apprentissage des métiers sont dispensés au camp : la fabrication de nasses, des nattes, des lits, des tamis, etc. les enfants sont initiés à la pratique de la chasse et de la pêche. Toute ces pratiques mettent le corps en mouvement, développent le mental et aussi le physique.
3.3. Education sexuelle
Parmi les facultés psychomotrices à l’initiation nous avons la circoncision. Les pende disent que « Vuamba kisula » ; ce qui signifie que celui qui n’est pas circoncis n’enfante pas. Le signe fort de cette éducation est la circoncision.
Il est vrai que les choses changent avec la modernité, mais le moment de la circoncision chez le pende était l’initiation Mukanda. Un chirurgien amenait le petit ciseau et coupait le prépuce du garçon. La plaie était vite soignée avec les plantes médicinales à courte durée.
Conclusion
Mukanda c’est une initiation à la vie dans tous ses aspects. Le garçon qui sort e cette initiation a une formation qui vise ce que vise l’éducation moderne à savoir : le cognitif, l’affectif et le psychomoteur.
Notice bibliographique
Erny P. (1972). L’enfant et son milieu en Afrique noire. Paris : Payot.
Ibeki K.G. (222). Manuel de psychologie, pédagogie de pointe, 2002.
Kaboza Mayele, R. (2008). Education à la vie adulte chez les pende orientaux, TFC, 3e graduat, GAIF, ISP Tshikapa, inédit.
Mounani, A. (1967). Education en Afrique. Paris : MASP.
Raymond et Macaire P. 51964). Notre beau métier, manuel de la pédagogie appliquée. Paris : éd. St Paul.
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